Le son du piano était doux, bien plus que ce que Vladimir aurait imaginé en le voyant jusqu’à ce qu’il remarque la sourdine enclenchée. Il resta silencieux, observant Nielle - ses mains sur le clavier, son corps se mouvant avec la musique, ses cheveux qui reflétaient la douce lumière de la pleine lune. Elle était si claire, ce soir, inondant la salle de réception par la baie vitrée, que le jeune seigneur n’avait même pas besoin de bougie pour lire sa partition.
Le duc, figé dans l’entrée, absorbé par la scène, préoccupé quelque part par l’heure tardive et les autres étrangetés qu’il n’avait pu s’empêcher de noter chez Nielle, n’écoutait qu’à moitié ce qui était joué. Quelque chose de lent, qui lui laissait le temps, même de là où il se tenait, d’apprécier la grâce des doigts du pianiste. Vladimir se sentait pencher, tout entier, vers l’envie de s’approcher, de faire connaître sa présence, de…
La musique s’arrêta à cet instant, le jeune seigneur savourant la dernière note du morceau en la laissant s’épanouir encore quelques secondes avant que le silence ne l’engloutisse. Il n’avait pas relevé les yeux du clavier, pas jeté un regard en direction de l’entrée. Vladimir pouvait encore se retirer sans aucun bruit, le laisser là, retourner se coucher.
A la place, il marcha à pas mesurés vers Nielle alors que celui-ci semblait perdu dans ses pensées.
– Je ne savais pas que vous faisiez du piano, murmura-t-il une fois près de lui.
Nielle tressaillit, se retourna avec une expression inquiète sur le visage.
– Vous ai-je réveillé ? s’enquit-il.
Vladimir ne put s’empêcher de porter une main à la joue de son vassal, amusé par son inquiétude. L’autre fut surpris, voire embarrassé, alors que le duc le caressait doucement d’un pouce, sa bouche s’entrouvrant délicatement comme s’il allait protester.
– Je ne dormais pas.
– Vous… m’en voyez rassuré.
L’hésitation dans sa voix, ses yeux qui ne savait où se poser, firent très doucement rire Vladimir. Par pitié pour son vassal, il retira sa main de son visage et le laissa se retourner vers son piano, avec ce mélange exquis d’embarras et d’incompréhension qui ne manquait jamais de teinter son visage lorsque le duc se comportait ainsi, d’une manière inexplicablement douce.
Ses mains tremblèrent lorsqu’il prit en mains les partitions qui étaient posées sur son instrument et commença à les feuilleter d’un air absent. Il tentait de se donner contenance, et Vladimir n’était pas certain de vouloir le laisser faire. Après tout, il était si agréable de s’amuser avec lui… il se pencha par-dessus son épaule.
– Vous jouez souvent en pleine nuit, mon ami ?
L’autre se figea, ses mains agrippant le papier des partitions avec force.
– Quand je n'arrive pas à dormir, répondit-il à mi-voix.
Il resta silencieux un instant, avant de demander au duc s’il voulait peut-être qu’il arrête de jouer pour qu’il puisse tranquillement retourner se coucher. Les lèvres de Vladimir effleurement son oreille lorsqu’il lui susurra :
– Au contraire, jouez tant que vous voulez. Un peu de compagnie et de musique ne sont jamais de refus…
Puis il s’éloigna, souriant en entendant la profonde respiration que prit Nielle comme s’il était resté en apnée tout ce temps. Résolu tout de même à le tourmenter un peu, le duc prit place sur l’un des confortables fauteuils près de la cheminée éteinte, de manière à avoir une vue parfaite de Nielle. Alors que son vassal cherchait visiblement ce qu’il pourrait bien jouer, Vladimir pouvait à tout loisir le regarder.
Après une courte réflexion, le jeune seigneur eut l’air de faire un choix, reposa ses partitions sur le piano et, après un court silence, entama une valse.
Vladimir haussa un sourcil. Il connaissait ce morceau - il l’avait déjà entendu, des années plus tôt, lorsqu’il avait pu voir lors d’un de ses déplacements à la capitale un opéra Etyndari. Anne l’y avait traîné, clamant que cela lui ferait du bien de profiter de quelque chose venant d’ailleurs que le royaume. Une histoire tragique de deux amants, qui ruinaient leur vie pour un amour impossible. Il n’avait pas aimé la pièce en elle-même, mais la musique, oui. Et cette valse - celle que jouait Nielle, adaptée pour un piano soliste - était le moment pivot où le couple scellait leur destin et celui de tous les autres personnages.
Nielle, qui n’était jamais sorti de son manoir.
Comment connaissait-il cet opéra ? En avait-il lu les partitions ? S’était-il passionné pour ce genre d’histoires que Vladimir détestait, dans la solitude des montagnes de ses terres ?
Le morceau était long, et Nielle le jouait à la perfection. Le duc restait assis, fasciné par sa précision, sa grâce, étourdi par les questions que son esprit ne cessait de lui présenter. Certainement, il cherchait du sens là où il n’y en avait pas. Et tout en ressassant - Nielle avait-il choisi ce morceau exprès ? - ses yeux revenaient toujours sur la fluidité des mouvements de son vassal, la beauté de l’instrument joué, ses mains qui… Vladimir finit par fermer les yeux. Il savait très bien quel genre de pensées allaient suivre. Il savait aussi qu’il ne devait pas tomber aussi bas.
Il sursauta presque lorsque la musique s’arrêta et ouvrit précipitamment les yeux, tentant d’apparaître plus décontracté qu’il ne l’était réellement. Maintenant plus que jamais, il était conscient de l’état dans lequel il s’était présenté - se présentait encore - à son vassal, en vêtements de nuit, sa chemise même pas fermée. Pire, il ne pouvait plus quitter des yeux le col froncé, retenu par un lien qu’il mourait d’envie d’arracher, de celle de Nielle.
Lorsque le pianiste se retourna, un demi-sourire aux lèvres, Vladimir sentit sa gorge s’assécher. Aucun doute. Il savait parfaitement ce qu’il faisait. Après un instant de silence, le duc ne trouva rien de mieux à dire que :
– Vous aimez l’opéra Etyndari ?
Ce fut au tour de Nielle de rire. La maîtrise de la situation échappait à Vladimir, et pourtant lorsque l’autre se leva du siège devant le piano, s’approcha toujours avec cet étrange sourire de chat, le duc ne tenta même pas de reprendre le contrôle.
– J’aime ce que j’en ai entendu et lu, répondit Nielle sans sa timidité caractéristique, mais ce n’est pas grand-chose lorsqu’on ne peut se rendre dans l’empire pour en profiter, n’est-ce pas ?
Sa voix semblait plus sûre, plus suave que d’ordinaire. Vladimir lui fit signe de s’approcher un peu plus. Il obéit très sagement, et le duc se fit violence pour garder son calme.
– J’imagine qu’il est compliqué, avec votre condition, de visiter Forge, oui…
Une ombre passa dans les yeux de Nielle et Vladimir s’empressa d’ajouter :
– Mais cela ne diminue en rien vos capacités, mon cher. Vous écouter jouer est… réellement exquis.
Nielle s’inclina humblement devant le compliment, peut-être parce qu’il ne savait pas quoi répondre. Vladimir ne put se contenir plus, tendit la main pour la poser sur celle de son vassal tout en se redressant dans son siège. Leurs visages se touchaient presque.
– Mais si j’ai bien compris, demanda Vladimir en un souffle, vous avez lu cette pièce ? Vous savez ce qu’il s’y passe ?
Sans un mot, Nielle acquiesça avec une terrible lenteur. Le duc sentait son coeur battre à tout rompre, espérait peut-être que son vassal soie dans le même état. Alors que sa main gauche s’aventura à caresser la joue de Nielle, des questions tentaient de se presser sur les lèvres de Vladimir, sur la signification de ce geste, de cette valse qu’ils n’avaient pas dansée mais que le pianiste avait tout de même amenée entre eux. Leurs yeux se croisèrent et le duc crut bien voir une lueur d’espoir dans ceux de son vassal.
Sa main gauche descendit jusqu’au col de chemise de Nielle et l’attira à lui. Tant pis pour la prudence, l’hypocrisie, l’avertissement qui lui avait été donné. Leurs lèvres se rencontrèrent un instant, se séparèrent par la surprise.
Ils reprirent leur souffle, avant que Nielle ne se penche plus avant, que Vladimir le prenne dans ses bras, et ils s’embrassèrent encore, plus longuement, une passion dévorante s’infiltrant en eux, teintant leurs souffles, leurs pensées, chacun de leurs gestes d’un besoin qu’ils devaient, auraient dû ignorer. Ce fut Vladimir qui, le premier, passa les mains sous la chemise de l’autre, faisant de son mieux pour l’attirer au plus près de lui. Nielle se mit à cheval sur les genoux de son seigneur, ses baisers se firent plus pressants, descendirent sur son cou.
– Vous allez me perdre, mon ami, soupira Vladimir.
Mais ni l’un ni l’autre ne souhaitaient s’arrêter en si bon chemin, et lorsque le duc sentit la langue de son vassal lui chatouiller le cou, il ne put retenir un gémissement. Il n’avait pas été touché ainsi, par qui que ce soit, depuis si longtemps que la moindre caresse lui semblait décuplée.
Il était à la merci de Nielle, de ses envies, le laissant lentement faire glisser son caleçon, sentant avec délices sa main descendre jusqu’à son membre. Les ongles de Vladimir se plantèrent dans le dos de son vassal lorsque sa main, lentement, se mit en mouvement sur son érection. En même temps, les baisers et la langue de Nielle se faisaient plus pressants sur son cou, et il ne put s’empêcher de gémir encore doucement sous ces attentions. Pire, il sentait tout contre lui l’érection de Nielle et se savait incapable de se concentrer assez longtemps pour lui rendre ce qui lui était offert, tont son esprit accaparé par le plaisir et la chaleur qui émanaient de son entrejambe.
Une douleur aiguë au niveau du cou apparut un instant, immédiatement remplacée par une nouvelle vague de plaisir sous les lèvres de Nielle. Sans comprendre ce qu’il venait de se passer, il dérivait, porté par les doigts, la bouche, le corps entier de son vassal dévoué à lui.
Au fur et à mesure qu’il sentait monter en lui cette vague qui menaçait à chaque instant de l’emporter, Vladimir ne pouvait empêcher ses hanches de se mouver à l’unisson des mains de Nielle. Il enfonçait ses doigts dans la chair de son dos, à peine conscient de sa force.
Puis, presque à regret, Nielle arrêta de déposer ses doux baisers dans son cou, sembla s’éloigner. Vladimir ouvrit la bouche pour protester et se retrouva immédiatement occupé avec celle de son vassal. Lorsqu’ils se séparèrent à nouveau, Nielle avait retiré son propre caleçon et, le sourire aux lèvres, se mettait à genoux devant Vladimir. Comprenant alors ce qu’il allait faire, le duc ravala ses protestations, mesmérisé par le sourire de l’autre.
D’abord, Nielle garda uniquement une main en mouvement sur son seigneur alors qu’il commençait à se masturber de l’autre, sous les yeux de Vladimir, faisant presque un spectacle de la chose. Et, toujours sans se départir de ce sourire, il se pencha sur le duc. Il posa sa langue à la base de son pénis et, lentement, remonta toute la longueur, le faisant agoniser d’attente. Enfin, lorsqu’il arriva à la pointe, il lança un regard langoureux à Vladimir avant de le prendre dans sa bouche. Ce fut, si c’était possible, encore plus délicieux que tout ce qu’il s’était passé jusqu’à présent. Le duc ne tentait même plus de cacher le plaisir qu’il ressentait, se laissant gémir au rythme des va-et-vient. Même Nielle semblait, de temps en temps, se laisser aller à émettre un son, et c’était toujours là quelque chose qui faisait frissonner Vladimir.
Et, tout ce temps, le vassal gardait un rythme lent, cadencé, qui rendait son duc fou, à la limite de lui demander, non, de le prier d’accélérer ne serait-ce qu’un peu. Même lorsque Nielle obéit, ce fut sa dextérité qui prouva être la plus efficace, et Vladimir jouit sous l’effet combiné de ses lèvres, sa langue, ses doigts pleins de délices. Alors que sa vision se couvrait d’étoiles et qu’il ferma les yeux sous l’ampleur de l’orgasme, il entendit un grognement sourd de la part de Nielle, suivi d’un soupir.
Ils reprirent leur souffle quelques instants avant que Nielle ne revienne se lover dans les bras du duc, et qu’ils n’échangent un long baiser.